Vers une dentisterie sans perturbateur endocrinien

par | 17 Fév 2018 | Articles | 0 commentaires

VERS UNE DENTISTERIE SANS PERTURBATEUR ENDOCRINIEN

Résumé par le Dr Catherine ROSSI

 

Le 23 Juin 2016, le Réseau Environnement Santé sous la présidence du chimiste toxicologue André Cicolella, réunissait tous les acteurs de la profession dentaire autour d’un sujet dont on connaît les graves conséquences sanitaires mais dont tout le monde découvre depuis peu l’ampleur.

Trois tables rondes se sont succédées dans l’après-midi. La première faisait l’état des lieux de la recherche scientifique.

C’est le Docteur Myriam Adib-Yazdi, chirurgien-dentiste, ancienne assistante hospitalo-universitaire à Montpellier et membre du comité scientifique d’Odenth qui a fait le point sur la présence des perturbateurs endocriniens dans nos résines composites. La phase organique des composites (20 à 40%) contient une résine matricielle en BisGMA, BisDMA, HEMA et/ou TEGDMA. Le Bisphenol A n’est pas censé être présent dans les composites mais on le retrouve parfois à l’état de trace dans certains. On se demande s’il ne viendrait pas du plastique des contenants, les seringues ou les capsules. Ce sont souvent les systèmes adhésifs dégradés par les enzymes salivaires, les bactéries, les différences de température et le blanchiment qui provoqueraient un relargage de BPA. Il semblerait que ce soit surtout les flows et les sealents qui relarguent du BPA et du TEDGMA car ils sont composés de BisDMA et non de BisGMA contrairement aux composites plus denses. Il a été confirmé que la qualité de la polymérisation influait sur la stabilité des produits composites en bouche. Il est conseillé de travailler sous champ opératoire, et de bien rincer la dent et la bouche après la pose d’un composite ou d’un collage. Des laboratoires commencent à sortir des produits sans BisDMA, sans TEGDMA, sans HEMA mais on ne connait pas la biocompatibilité des produits de remplacement…

La recherche en est encore à ses débuts…

 

Le Docteur Chantal Canivenc-Lavier, physiologiste et toxicologue chercheuse à l’INRA a étudié l’effet des perturbateurs endocriniens sur les glandes salivaires de rats, résultats que l’on pourrait transposer chez l’humain. Les glandes salivaires ont une fonction exocrine (salive) et endocrine (EGF qui a un rôle dans le goût). C’est pour cela que la ménopause ou le diabète peuvent s’accompagner de sécheresses buccales.

Il a été constaté que l’exposition aux perturbateurs endocriniens pendant la grossesse aurait tendance à provoquer chez l’enfant à naître :

  • Chez la jeune fille, les perturbateurs endocriniens provoquent une puberté précoce.
  • Chez le jeune homme, les perturbateurs endocriniens retardent la puberté, on constate des glandes salivaires immatures et une augmentation de la préférence au sucré.

Chez l’adulte l’exposition aux perturbateurs endocriniens :

  • Chez la femme, pas d’effet au niveau des glandes salivaires
  • Chez l’homme, diminution de la quantité salivaire réversible avec l’arrêt des perturbateurs endocriniens. Mais augmentation des caries par la diminution du pH et perte du goût.

Dentifrices, médicaments, pesticides et soja peuvent être des causes directes.

 

Le Docteur Katia Jedeon, chirurgien-dentiste et chercheuse, le Docteur Sylvie Babajko chercheuse à l’INSERM, ont étudié en parallèle des dents de rats soumis à des perturbateurs endocriniens et des dents extraites dont l’email avait subi une MIH (Molar Incesor hypomineralisation) qui est une anomalie de la structure de l’émail des premières molaires et des incisives centrales définitives.

Il existe une période de sensibilité prédominante aux perturbateurs endocriniens qui est de l’âge fœtal jusqu’à 6 ans, car le système de détoxification hépatique n’est pas encore mis en place.

On observe à la surface des dents des rats soumis aux perturbateurs endocriniens une couche magmatique organique recouvrant une surface amélaire rugueuse présentant une diminution du rapport Ca/phosphore et Ca/carbone. Il y a une augmentation du contenu organique au détriment du contenu minéral. Cela se retrouve dans les MIH. On retrouve également de l’albumine dans l’email ce qui n’est pas normal. Il en est conclu que le BPA est un facteur causal des MIH. Ce sont les améloblastes qui possèdent des récepteurs aux perturbateurs endocriniens œstrogéniques et androgéniques, ce qui modifie et perturbe la synthèse de l’email et/ou la qualité de l’email en fonction de la période d’exposition.

Certains récepteurs sont tellement sensibles qu’ils réagissent à des doses infimes de BPA, de phtalates et de tout autre perturbateur endocrinien. Les MIH sont une pathologie très préoccupante car les dents deviennent très sensibles, leur pulpe est en inflammation permanente ce qui rend les enfants peu coopérants. La pose de la digue est difficile et on ne peut les soigner qu’avec des matériaux contenant des perturbateurs endocriniens !

Le Docteur Hélène Giral Desnoe, orthodontiste, nous parle des MIH mais surtout des retards d’éruption associés à des résorptions radiculaires qui semblent de plus en plus fréquentes. On les observe sur les dents de 6 ans et les incisives centrales, parfois associées à des ankyloses.

Cet arrêt d’éruption est dû à un dysfonctionnement du mécanisme d’éruption. Il n’y a pas de solution thérapeutique car si on tracte les dents on les fragilise. La stimulation de la croissance a lieu dans une fenêtre temporelle. Après c’est trop tard ! Ceci est régulé hormonalement entre autre par les œstrogènes et les hormones thyroïdiennes. On a donc pu faire le lien avec les perturbateurs endocriniens qui auraient une action dans les blocages d’éruption des dents avec des racines courtes non apexifiées.

On constate aussi qu’en présence de MIH, le parodonte est plus sujet à l’alvéolyse et on retrouve des résorptions radiculaires. Les colles orthodontiques sont aussi susceptibles de diffuser du BPA.

La deuxième table ronde allait permettre de connaître le point de vue de la filière dentaire à commencer par le Conseil National de l’Ordre représentée par le Docteur Dominique Chave, présidente de la commission de la vigilance et des thérapeutiques. Le rôle de l’Ordre, est de faire appliquer les textes réglementaires. Pour les perturbateurs endocriniens et le BPA il n’y a aucun texte… mais en 2014 le Professeur Michel Goldberg avait déjà alerté le CNO à ce sujet.

Le Docteur Patricia Hueber Tardot, présidente du SFCD nous a parlé avec son cœur en tant que praticienne, femme et citoyenne. Elle constate les contradictions, le manque d’information, les désinformations au sujet du mercure, du fluor, du titane, du Nickel et maintenant voici que surgissent les perturbateurs endocriniens.

En tant que praticienne responsable elle s’investit en conscience, bénévolement dans la prévention, mais les MIH empêchent une bonne prévention.

Voici donc ses questions :

  • Comment soigner en pleine confiance si on ne connaît pas la composition des matériaux qu’on utilise ?
  • Comment agir pour que nos matériaux soient indemnes de composants nocifs ?
  • Comment initier une prévention en amont des pathologies car la prévention qu’on nous apprend aujourd’hui est insuffisante ?

Toute la profession doit travailler ensemble pour être un laboratoire de changement de paradigme environnemental, social et économique.

La SFCD s’engage à proposer des formations à ce sujet.

La CNSD était représentée le Docteur Olivier Donnat, secrétaire général adjoint se plaint qu’il y a très peu d’information. Pense que c’est une polémique franco-française qui éveille un intérêt mineur dans le reste du monde.

  • Il est à l’écoute mais attend plus de réponses. Par exemple quelles sont les concentrations sanguines de BPA après la pose d’un composite ?
  • Quel est le pourcentage de BPA d’origine dentaire par rapport à la globalité de l’intoxication ?

Le Docteur Serge Deschaux coordinateur CNSD du comité de suivi du programme national d’actions de prévention des infections associées aux soins pour le secteur de ville au sein du ministère de la santé dit que les dentistes sont de bons élèves et se réfèreront à la réglementation et à la normalisation.

Le marquage CE sur les produits est une référence de confiance. Rare sont ceux qui lisent les fiches techniques. Il faudrait une norme AFNOR internationale « la France lave plus blanc que blanc ! C’est le seul pays par exemple à imposer le cycle prion ! ».

Les assistantes dentaires aussi avaient leur mot à dire avec Dominique Munoz présidente de l’Union Fédérale des assistantes dentaires (UFAD). Nos assistantes sont continuellement en contact avec les produits chimiques qui contiennent des perturbateurs endocriniens. Il faut travailler au fauteuil avec masque, gants, lunettes mais aussi pendant le nettoyage du fauteuil et pendant le travail en salle de stérilisation. Il y a un effet cocktail avec tous les produits. Beaucoup de cabinets ne sont pas assez ventilés pour des raisons économiques.

Le Docteur Elisabeth Johan-Amourette, chirurgien-dentiste, ex-présidente de l’association Odenth (odontologie énergétique thérapeutique) a posé des questions aux fabricants. Ils ont beaucoup de normes à respecter mais aucune ne concerne la biocompatibilité !

De plus, elle s’étonne de continuer à voir à la TV la pub pour le « bon jus d’orange du matin » qui est un acide et qui érode les dents des enfants d’une manière pire pour ceux qui ont des MIH !

Monsieur Eric Venturelli, chimiste et fabricant de produits désinfectants écologiques, précise qu’aujourd’hui, lorsqu’on propose un produit sur le marché, il faut communiquer sur la protection de l’utilisateur et sur le devenir du produit dans l’environnement :

  • Les industriels ont besoin de la liste complète des produits ayant un effet PE.
  • Afin de diminuer les risques, il faut diminuer la concentration de produit et créer des produits intelligents avec une attaque multisecteurs en associant plusieurs ingrédients actifs pour arriver à la même efficacité en ayant 10 fois moins de produits.
  • Les petites sociétés ont besoin de R et D et d’aide financière.

Arnaud Pemzec, est trésorier du Comident, une association qui regroupe 150 entreprises du marché dentaire français. Ce qui représente 95% des produits et matériels mis sur le marché. On peut donc les solliciter pour informer les industriels. Mais si l’initiative est française, il faut savoir que les fabricants de composites ne sont pas français ! Il ne faut pas que la France soit isolée et ne puisse plus s’approvisionner ! Nos constats doivent être exportés et suivis mondialement !

Etre responsable mais aussi raisonnable. Ne pas oublier les apports thérapeutiques des composites et des collages. Pour l’instant on n’a pas de matériau de substitution. Il faudra attendre au moins 8 ans.

Le Professeur Ariane Berdal, vice doyenne de la faculté d’odontologie de Garancière se positionne en disant que l’université doit transmettre l’information au meilleur niveau. Elle se méfie de tout ce qui est dit dans les médias sur le fluor, le mercure… rien n’est prouvé scientifiquement. Pour les perturbateurs endocriniens il faut des échanges horizontaux pour en savoir plus et rappeler les bonnes pratiques.

La société française de biomatériaux dentaire, représentée par Madame Elise Dirsun constate que le mercure, premier polluant de la planète est voué à disparaitre, plus pour des raisons écologiques que de santé publique. Il n’est plus enseigné dans certaines facs. Le BPA est une inquiétude pour les scientifiques. Sur les 160 composites étudiés, 86% sont faits à partir de dérivés de BPA : le BisGMA mais qui ne relargue pas de BPA. (C’est comme si on disait que le sel Chlorure de Sodium était toxique car il contient du Chlore qui lui est toxique). Les 17 composites qui ne contiennent pas de BisGMA contiennent du TEGDMA ou du HEMA dont on ne connait pas la toxicité. (ndlr ces 2 produits sont des allergènes). Les blocs de composites pressés à chaud semblent actuellement les plus fiables.

Le Docteur Jean Paul Davidas, chirurgien-dentiste, représentant l’AFNOR était aussi présent pour solliciter chacun des groupements présents à participer à l’élaboration d’une norme européenne voire internationale.

La 3° table ronde exposait le point de vue des institutions.

Le DGPR a créé une « mission perturbateurs endocriniens ». Le ministère de l’environnement a mis en place la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens.

  • Elle aide les recherches et les industriels.
  • Interdiction des perturbateurs endocriniens dans les tickets thermiques en octobre 2016.
  • Introduction dans le carnet de santé d’une information sur les perturbateurs endocriniens que les médecins, dentistes et sages-femmes devront connaitre afin de pouvoir répondre aux questions de leurs patients.

L’ANSM travaille sur l’exposition et le risque non sur le danger qui est hors sa mission. L’ANSM ne s’occupe pas d’AMM mais surveille la conformité et que la balance bénéfice/risque soit positive. L’ANSM s’appuie sur la directive 93-42 dans laquelle il n’est pas fait état des perturbateurs endocriniens. Cela va changer en 2017 et le marquage PE devra apparaître sur l’emballage au-delà d’un certain taux avec les précautions pour les femmes enceintes et les enfants. L’ANSM est elle aussi confrontée à l’absence d’études pour légiférer. Elle ne peut donc faire que des préconisations. C’est ce qu’elle a déjà fait pour le mercure.

Enfin Santé Publique France a pour but de faire de la prévention très large du fait de la multiplicité des sources de perturbateurs endocriniens. SPF surveille la santé de la population, fait des actions de prévention et d’éducation à la santé. Elle travaille aussi sur la prévention des conduites à risques. SPF a lancé un programme national de bio surveillance des perturbateurs endocriniens pour obtenir des référentiels.

Le Docteur Nathalie Ferrand, chirurgien-dentiste et responsable de la commission santé écologique au sein du SFCD clôture la séance en affirmant avec sa détermination habituelle qu’une porte a été ouverte et qu’une grosse pierre a été mise avec ce colloque pour que cette porte ne se referme pas ! Nous sommes tous concernés. On n’a pas toutes les réponses aujourd’hui mais on est nombreux à être déterminés pour trouver les réponses.

Et enfin la journée a été clôturée par l’intervention de Jean Louis Roumegas, député et président des groupes d’études « santé environnementale » à l’assemblée nationale. En Février 2014, il a fait un rapport sur les perturbateurs endocriniens. Il est l’auteur d’un projet de loi dans lequel il met en avant la dégradation de la santé publique, en lien avec les perturbateurs endocriniens : cancer (sein, prostate, colon), obésité, diabète, maladies respiratoires, allergies, troubles du comportement et de la reproduction, perturbations thyroïdiennes, hyperactivité des enfants.

Il faut changer de modèle. Ne pas attendre les résultats scientifiques officiels. Les expositions sont multi sources. Il y a des effets cocktails : Perturbateurs endocriniens + pilule contraceptive par exemple.

Il faut mettre en place le principe de précaution. La proposition de « loi Detox » a été acceptée en 1ère demande. Elle est au Sénat. Elle demande :

  • une substitution intelligente.
  • Une liste officielle des produits à effet perturbateurs endocriniens.
  • Une obligation de déclaration de l’utilisation de ces substances.
  • Une aide technique à la substitution.
  • Une aide financière pour les R et D des entreprises.
  • Etiquetage obligatoire de valorisation.

Les chirurgiens-dentistes sont la première profession médicale à s’engager vers des solutions et elle doit en être félicitée.

Il y a du répondant au ministère de l’écologie, un peu moins au ministère de la santé…

Une dynamique est enclenchée donc à bientôt.

Pour en savoir plus : http://www.reseau-environnement-sante.fr/

 

Réseau Environnement Santé : tel 01 80 89 58 37

contact@reseau-environnement-sante.net

 

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/11/les-perturbateurs-endocriniens-alterent-l-email-dentaire_4967806_1650684.html#lwo41DKY6WAZXaBY.99

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